Durant le XIX siècle, la famille connaît un fort affaiblissement en raison d’une baisse importante de la natalité, alors que la mortalité demeure. L’immigration déjà très importante n’arrive pas à compenser le déclin de la population.
Les causes sont multiples :
• Le climat social n’est pas favorable. La littérature ridiculise assez fréquemment les valeurs familiales et le malthusianisme se propage.
• La législation bouleverse les fondements familiaux. L’autorité paternelle est affaiblie, le mariage laïcisé, et le divorce est reconnu. Les droits de succession et les impôts directs renforcent ce courant défavorable à l’idée de la famille.
La famille est rayée des Institutions de l’Etat. La législation affirme le droit de l’individu.
• L’économie est encore plus déterminante. Elle bouleverse toute la société et a donc des incidences sur la vie familiale dont les moyens d’existence changent : travail des femmes et des enfants, logements insalubres, salaires insuffisants. Pourtant un courant social se dessine.
Face à ce régime politique, économique et social devenu hostile aux familles nombreuses, deux courants vont se rejoindre et s’épauler : le familialisme nataliste et le familialisme idéologique.
Certains économistes, les natalistes, prônent la réforme complète de cette législation devenue essentiellement individualiste.
• Régime fiscal : système cohérent de dégrèvements d’impôts proportionnels aux nombres d’enfants.
• Politique d’assistance aux familles nombreuses, sous forme de primes, allocation, subventions.
Plus l’inertie des pouvoirs publics est flagrante, plus la propagande nataliste devient audacieuse.
Alertées par cette agitation, les familles nombreuses prennent conscience de leurs intérêts et s’organisent. Elles réclament justice et descendent dans la rue pour faire valoir leurs droits et clament le slogan : « Les familles nombreuses créancières de la nation ».Né d’une prise de conscience très nette de la chute véritablement catastrophique des naissances en France, le mouvement familial gardera longtemps un caractère revendicatif axé sur l’obtention d’avantages matériels (jusqu’en 1914).
Après 1914, un nouveau courant apparaît : celui qu’on appellera « familial » qui estime que le relèvement de la natalité ne tient pas seulement à des mesures d’ordre économique, primes et allocations et qui réclame avec beaucoup d’énergie des mesures dites d’assainissement moral telles que adoucissement, sinon abrogation, de la loi sur le divorce, répression impitoyable de l’avortement et des propagandes malthusiennes.
Essentiellement conservateurs et catholiques, les familiaux sont amenés à dénoncer un régime républicain et laïc ayant désorganisé la famille, provoqué la dénatalité et incapable de la conjurer.
Donc, après s’être appuyés sur les natalistes dont les réclamations avaient un fondement économique, les familiaux demandent des réformes au nom d’une philosophie moraliste.
Pour autant séparés sur l’appréciation des causes de la dénatalité et sur le choix des remèdes, familialistes natalistes et familialistes idéologiques s’unissent cependant pour tenter chacun à leur manière de réintroduire la famille dans les institutions de l’Etat.
Au lendemain de la guerre en 1918, le « conflit » entre ces défenseurs de la famille prend une dimension nouvelle avec l’apparition d’une troisième tendance, celle représentée par les jeunes foyers risquant d’être rebutés par des charges familiales trop lourdes.
Après les avantages accordés aux familles de plus de quatre enfants, on en arrive aux avantages destinés à encourager les naissances (prime dès la première naissance).
D’autres mouvements naissent plus préoccupés par l’éducation et l’entraide pour une prise en charge volontariste de leurs problèmes.
C’est toute la phase de l’entre-deux guerres entre 1918 et 1945 qui sera partagée entre ces trois courants divergents sans être vraiment opposés.
Pendant près de vingt-cinq ans, l’action des différentes associations se poursuivra inlassablement :
• auprès du Parlement pour l’obtention d’une législation réellement familiale, en vue d’un meilleur équilibre démographique ;
• auprès du patronat dit « Profession » qui a pris l’initiative d’une politique courageuse et généreuse des allocations familiales, pour une plus juste compensation des charges ;
• auprès de l’opinion publique, pour l’amener à penser famille.
Cette oeuvre de pionniers sera menée avec beaucoup de ténacité en dépit d’innombrables obstacles :
• en particulier les difficultés budgétaires de la nation encore affaiblie par la crise de 1930-1932.
• sur le plan social, la famille est toujours tenue à l’écart.
Il faut une nouvelle fois découvrir la menace d’un conflit imminent en 1939 pour que l’inertie du Parlement soit bousculée, toujours par la crainte de la dépopulation.
La famille retrouve alors droit de cité et, rayée du vocabulaire républicain, elle y est réintroduite à la veille de la guerre, en 1939, par le Code de la Famille.
Le mouvement familial va s’organiser autour de deux pôles :
• le relèvement de la natalité par l’amélioration du niveau de vie des familles nombreuses ;
• la création d’un climat moral qui permet aux familles déjà constituées ou en voie de formation de s’épanouir.
Natalistes et familiaux s’attacheront plus spécialement à faire reconnaître l’existence juridique d’une société naturelle, antérieure à l’Etat, ayant des droits et des intérêts propres et à réintroduire dans la société la famille nombreuse disloquée par le libéralisme et la civilisation industrielle du XIXème siècle.
Après la faillite de la 3e République, puis la défaite de l’armée française et l’armistice qui suivit (24 juin 1940), commence une période de quatre ans environ, pendant laquelle, en raison des difficultés de tous ordres rencontrées par les Français occupés, rationnés, tracassés… les associations familiales s’organisent pour l’entraide. Elles éprouvent le besoin de s’unir par delà leurs diversités et leurs divergences et elles créent des Comités de coordination, fédérés en un Centre National de Coordination des Mouvements Familiaux.
De nouvelles associations apparaissent qui, pour marquer leur volonté de réunir toutes les familles, sans aucune distinction, du jeune foyer à la famille nombreuse, prennent le nom d’associations générales des familles.
A cette époque, également naissent :
• Le Mouvement Populaire des Familles (issu de la Ligue Ouvrière Chrétienne)
• Le Mouvement Familial Rural (issu de la J.A.C. et qui reste sur un plan confessionnel catholique).
A la veille des années 40, un groupe, sous l’impulsion d’Emmanuel Gounot, alors président de l’importante Fédération des Associations de Familles Nombreuses du Sud-Est, étudie un système de représentation institutionnelle des Familles, auprès des Pouvoirs Publics. Et le 29 décembre 1942, est votée la loi dite Gounot qui créé les Unions locales, départementales et nationale d’Associations familiales.
La situation politique et militaire ne permit pas la mise en place de ces organismes. A la libération, la loi fut abrogée avec beaucoup d’autres élaborées par le gouvernement de Vichy.
Le 3 mars 1945, une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République, reprenant dans ses grandes lignes, le projet de loi Gounot, dote, et cette fois définitivement, le mouvement familial d’un statut de représentation auprès des Pouvoirs Publics.
S’y trouvent encore amalgamées :
• la défense de la Famille comme premier pilier de l’ordre moral (travail – famille – patrie) ;
• la sauvegarde des intérêts matériels et moraux des groupes familiaux (natalisme et assistance) ;
• la représentation de toutes les familles de France (mode de régulation néo-corporatiste, alternative au syndicalisme professionnel).
Démultipliée, la famille est donc promue corps intermédiaire par le dispositif de la loi Gounot qui crée une institution typiquement française, l’UNAF et les UDAF dont les missions se ramènent à quatre ensembles principaux :
• Emettre des avis sur toute question concernant les intérêts moraux et matériels des familles
• Représenter l’ensemble des familles auprès des pouvoirs publics et notamment au niveau territorial ;
• Gérer des services d’intérêt familial confiés ou non par l’Etat ;
• Agir en justice en qualité de partie civile.
Ce qu’un sociologue (Charvière) appelle un compromis juridico-social est aujourd’hui encore un exemple unique et presque parfait de corporatisme social institutionnalisé au coeur même de l’Etat central.
Ni le syndicalisme patronal, ni le syndicalisme ouvrier « n’ont connu pareil développement ni pareille légitimité. Et ce « Parlement des familles », selon l’image que l’Institution aime à donner d’elle-même depuis une réforme structurelle en 1975, fait montre d’une remarquable capacité de résistance à toutes les variations économiques ».
C’est le seul dispositif à être présent et efficace dans les mille et une « régulations sociétales » concernant la famille et, plus largement, l’ensemble du système social (C.E.S., C.N.A.F., C.S.A., etc.).
L’examen des domaines de compétence de l’UNAF aujourd’hui atteste de l’universalité de sa vocation à s’intéresser à tout le social, universalité que l’on retrouve dans les multiples actions de solidarité, de propagande, de service, de défense qui font l’originalité des militants familiaux les plus actifs depuis le début de ce siècle.
Ainsi, dans la période de la guerre, le mouvement familial s’est montré particulièrement créatif en mettant en place des dispositifs non seulement diversifiés, mais aussi innovants. Par exemple :
• Placement familial des enfants à la campagne,
• Ravitaillement, colis familiaux,
• Entraide en zone occupée,
• Service des prisonniers,
• Organisation des femmes de prisonniers,
• Jardins familiaux,
• Service Education et Jeunesse,
• Service de santé populaire,
• Centres familiaux et bourses familiales de vacances,
• Aides familiales.
Avec ces actions innovantes, les associations familiales marquent et revendiquent la différence avec d’autres pratiques sociales plus techniciennes ; elles assurent parfois en régie directe certaines formes historiques du travail social : travailleuses familiales, tutelle aux prestations sociales.
En même temps, on retrouve dans le mouvement familial la notion de services largement véhiculée par les mouvements issus de l’action catholique dans le sens de l’obligation du chrétien de servir son prochain.
Il s’exprime dans ces actions une entraide authentique à travers laquelle s’accomplissent des orientations qui ne sont pas étrangères au travail social et au cours le plus récent des politiques sociales.
Aujourd’hui, toute stratégie de service en direction des familles incorpore l’une ou l’autre ou plusieurs des dimensions suivantes :
• le service comme intervention ou médiation externe ;
• le service revendiqué comme besoin ou droit propre ;
• le service comme reproduction et expansion de l’idéologie familialiste.
La tutelle aux prestations sociales, par exemple, réunit la dimension de l’intervention et celle de l’expansion de l’idéologie familialiste : il y a institutionnalisation, sous l’enseigne de la famille, d’un service confié à l’origine dans le cadre d’une mesure de police administrative.
Les services d’aide familiale illustrent la conjonction de deux dimensions : le service-besoin et toujours la diffusion de l’idéologie familiale.
L’institution familiale jour un rôle de régulateur social :
• en rassemblant toutes les familles quelles que soient leurs origines, elle agit en dehors des servitudes des jeux politiques ou enjeux traditionnels ;
• son partenariat avec les pouvoirs publics ne s’est jamais modifié, quels que soient les gouvernement qui se succèdent ;
• institutions originales parce que capables d’une écoute différente, l’UNAF et les UDAF exercent souvent un rôle de balancier dans l’échiquier politique des instances où elles sont représentées (Caisses d’Allocations Familiales par exemple).
Malheureusement, il n’y a pas actuellement de véritable politique familiale ; plutôt des « replâtrages ». Ainsi, en ce qui concerne les besoins matériels des familles, les attentes sont bien supérieures à ce qui a pu être obtenu.
Néanmoins, et grâce à l’action du mouvement familial, l’image de la famille est sans doute mieux perçue dans l’opinion publique, même si elle est très mal médiatisée.
L’UNAF définit aujourd’hui un contour de famille plus universel : elle ne défend plus une famille, mais des types de familles Pour autant, elle est souvent perçue comme très traditionnelle parce qu’elle reste dans des préoccupations morales et éthiques fondées sur des valeurs intemporelles.
Elle s’oriente également de façon de plus en plus évidente vers le social. Elle a participé notamment à l’élaboration des lois concernant le surendettement et le logement social.
Elle est aussi la seule institution qui ait réussi à mobiliser ses militants dans la rue pour défendre, non pas des intérêts catégoriels, mais une philosophie de la solidarité (défense de l’universalité des allocations familiales en 97).
On peut penser que le mouvement familial serait, à l’heure actuelle, le seul lobby capable, au nom même d’une idéologie du bien-être familial, de réclamer un changement profond des mentalités pour instaurer un nouvel ordre économique, moyen au service du bien-être des hommes.
Mais les Pouvoirs Publics, s’ils reconnaissent bien le savoir-faire de l’institution, sont moins préoccupés de l’entendre sur son vouloir-faire.
Ce texte a été élaboré pour présenter l’institution familiale à des étudiants en maîtrise en sciences de la famille, dans le cadre de l’Institut des Sciences de la Famille, par Christine Hauduroy.
Bibliographie :
• Histoire du Mouvement Familial en France (1896-1939), Robert Talmy, 2 tomes Collection « Etudes », Edition CNAF.
• Travail dactylographié de Jean Mignard, militant familial à Familles de France – Rhône.